lundi 20 décembre 2010

Voici comment Internet est un danger pour notre esprit

Depuis quelques années, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont envahi la vie de l’humanité. Les pays du nord avaient pris de l’avance et ceux du sud, comme à leur habitude, étaient à la traîne. L’ONU a crié à la fracture numérique entre les deux grands hémisphères. Des plans d’action ont été décidés pour tenter de réduire le fossé qui sépare désormais le nord et le sud. Ensuite, les Africains ont pris le relais en vantant ici et là les bienfaits d’une  mise en réseau de leur patrimoine culturel. Personne alors ne s’est souvenu qu’à l’intérieur de chaque solution que trouve l’homme confronté à un problème gît une autre difficulté.

Internet, la dernière née des évolutions technologiques la plus retentissante de notre temps, a été accueilli avec enthousiasme. Tout le monde a développé un credo optimiste quant à la possibilité de réduire la fracture numérique. Ici et là, les gens ont commencé à adopter ce fleuron de la technologie. La cyberculture était née. Cependant, les esprits éveillés ont vite pressenti le danger que l’humanité courait du point de vue du lien social. Philippe Breton a, le premier, tiré la sonnette  d’alarme en montrant que le culte d’Internet constituait une menace pour le lien social. Contrairement à cet avertissement, on a vu se multiplier des réseaux sociaux comme Hi5, Facebook, Twitter, Badoo et tant d’autres.
Le culte d’Internet n’a pas épargné les jeunes congolais. Il faut entendre culte au double sens d’attachement marqué à quelqu’un ou à quelque chose ou encore une vénération presque religieuse. Les usages qui sont faits de cet outil de communication dépendent d’un sujet à un autre.
Mais ce qui nous fait écrire cette petite réflexion est consécutif aux conclusions d’un livre qui vient de paraître, Les impacts d’Internet sur nos cerveaux de Nicholas Carr. Les conclusions sont effrayantes. Elles invitent donc à entretenir un autre type de rapport avec Internet. Voici en gros ce qu’il dit et à chacun de tirer les conclusions qui s’imposent.
Nicholas Carr constate que, comme beaucoup d’Internautes, il a de plus en plus de mal à lire des documents qui dépassent quelques lignes.
- Les travaux récents de la neuroscience démontrent que notre cerveau est dans un état d’apprentissage permanent ; nous développons de nouveaux modes de pensée, mais nous pouvons aussi perdre les anciens si nous les pratiquons moins.
- Les outils «informationnels» changent nos manières de penser et d’agir.
- Les changements induits par ces outils dans nos manières de penser sont très rapides et souvent irréversibles.
- Internet, le plus récent de ces outils, aura au moins autant d’impacts sur nos cerveaux que l’alphabet, les cartes, l’horloge ou l’imprimerie.
-  Si on met de côté l’alphabet et le système numérique, l’Internet pourrait être la technologie de changement de nos cerveaux la plus puissante, au moins depuis l’apparition du livre.
- L’Internet est à notre service et devient aussi notre maître.
- L’internaute perd une grande partie de ses capacités de concentration, de contemplation et de réflexion.
- Déléguer à Internet notre mémoire est une grave erreur ; le fonctionnement de la mémoire humaine n’est pas comparable à celle d’un ordinateur.

- La lecture complète d’un livre devient impossible ou insupportable pour beaucoup d’internautes, y compris ceux qui ont fait de longues études littéraires.
- Ce que Taylor a réalisé pour le travail manuel, Google risque de le faire pour le travail du cerveau.
Une plongée dans des recherches récentes des neurosciences
Une partie importante du livre de Carr fait le point sur les dernières avancées de la neuroscience sur nos modes de pensées. Voici quelques idées-forces :
- Contrairement aux idées qui avaient cours durant les siècles derniers, le «câblage» de notre cerveau ne se termine pas à l’adolescence. Depuis une quarantaine d’années, grâce aux progrès des outils d’analyse du cerveau, des dizaines d’expériences ont démontré l’étonnante plasticité du cerveau humain. Il faut comprendre par là que :
 - Tous les circuits neuronaux, qu’ils concernent le toucher, l’ouïe, la vision, la pensée, l’apprentissage, la mémoire sont sujets au changement, rapidement, et à tout âge.
- Notre cerveau est «massivement modifiable» ; cette capacité, même si elle décroit un peu avec l’âge, ne disparait jamais.
- Plasticité ne signifie pas élasticité. En clair, lorsque notre cerveau développe de nouvelles connexions, il peut aussi laisser mourir les anciennes, si elles ne sont plus utilisées avec une fréquence suffisante.
Quelques exemples
Nicholas Carr a réalisé un gros travail de compilation sur des études récentes menées par les meilleures équipes de recherche en neuroscience. Il a aussi réalisé un important travail historique sur ce sujet, en remontant à la plus haute antiquité.
1- Des expériences passionnantes ont été menées sur des personnes ayant eu un accident cérébral et devenues hémiplégiques. Il est possible, après quelques semaines d’exercices intensifs, de permettre au cerveau de se «re-programmer» et de redonner une forte autonomie à des patients qui avaient perdu le contrôle de la main et du pied touchés par cet accident. Au-delà de ces cas extrêmes, l’idée clef est que la plasticité du système nerveux est son état «normal» pendant toute la vie.
2 - A la suite d’une chute de cheval, Friedrich Nietzsche, à 34 ans, perdait la vue et avait de plus en plus de difficultés à lire et à écrire. En... 1882, il acheta une des premières machines à écrire, inventée par le danois Malling-Hansen, qui travaillait pour l’Institut Royal Hollandais des sourds-muets. Ayant acquis la maîtrise de ce clavier, il recommença à écrire, les yeux fermés. Très vite, ses lecteurs lui firent remarquer qu’il avait changé de style ; ses textes étaient plus denses, plus courts. Nietzsche répondit : « Vous avez raison, nos outils d’écriture influent sur la création de nos pensées».  Que peut-il se passer, aujourd’hui, avec les SMS et Twitter ?
3 - On a demandé à deux groupes de personnes, l’un composé d’Internautes chevronnés, l’autre de novices n’ayant jamais navigué sur le Web, d’utiliser un navigateur pour des tâches simples. Les zones du cerveau activées pour ces deux groupes étaient très différentes. Le groupe de novices a ensuite suivi un entrainement d’exercices de recherche sur le Web, d’une heure par jour pendant 6 jours. Les mêmes tests ont été à nouveau réalisés pour les deux groupes et... les mêmes zones du cerveau étaient maintenant activées, pour les novices comme pour les pros ! En 6 heures ! Quelles peuvent être les conséquences sur notre cerveau de centaines d’heures d’usages d’Internet ?
4 - «Nous devenons ce que nous pensons.» Des expériences ont démontré que les changements dans nos cerveaux peuvent être déclenchés par nos seules pensées, sans aucune action physique. L’une des expériences citées compare deux groupes de personnes apprenant à jouer une mélodie simple au piano. Un premier groupe l’a fait physiquement, en pratiquant sur un piano, l’autre l’a fait «virtuellement», assis devant un piano, mais sans jamais toucher le clavier. Dans les deux groupes, les changements mesurés dans le cerveau ont été identiques.
Les outils qui ont modifié nos manières de penser, notre cerveau
Nicholas Carr les appelle les «intellectual technologies», les «outils de l’esprit». Ce sont les principaux outils qui ont profondément modifié les modes de pensée de l’humanité et... ils sont très peu nombreux. Il en cite quatre :
- L’alphabet, mis au point par les Grecs en 750 AC, avec son jeu de caractères très dense de 24 signes, il a permis l’essor de l’écriture comme substitut à la voix dans le transfert de la connaissance. Socrate, l’orateur, contre Platon, l’écrivain, c’est un vieux débat !
- La cartographie, pour nos relations à l’espace.
- L’horloge mécanique, pour nos relations au temps ; ce sont les moines qui en sont à l’origine, pour pouvoir mieux rythmer leurs cycles de prières.
- Les différents supports de l’écriture, la lourde argile des Sumériens contre le papyrus léger des Egyptiens (PC de bureau contre PC portable !), l’arrivée de la tablette de cire (iPad !), premier support effaçable. Ce sont surtout, au milieu du XV siècle, les inventions de Gutenberg qui ont permis la diffusion massive et économique de la connaissance écrite.
- La réduction de la taille des outils, que ce soit la montre portable ou le format «octavo» des livres (notebook !), en les démocratisant et en permettant un accès en mobilité a profondément changé les usages. Depuis une quinzaine d’années, l’Internet a pris le relais comme nouvel «outil de l’esprit». Il aura des impacts sur le fonctionnement de notre cerveau au moins aussi importants, et plus rapides que  les quatre technologies historiques.
Ainsi qu’on peut s’en apercevoir, notre dépendance à Internet peut se retourner contre nous et se révéler dangereuse. Dans la deuxième partie du livre, il montre combien cette dépendance est nuisible à notre capacité de lecture. Généralement les documents Internet s’obtiennent après de multiples liens. Ces hyperliens finissent par déborder nos cerveaux qui n’en peuvent plus.
Pour cette raison, nous sommes appelés à évaluer notre rapport à Internet afin d’en faire un usage responsable. En tant que jeune, et en âge de scolarisation, nous avons l’obligation de lire pour acquérir le sens critique et améliorer notre expression tant orale qu’écrite. Prudence avec Internet car avec lui, nous lisons instantanément mais plus en profondeur comme on le fait avec les livres en format papier. Un homme averti en vaut deux !

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